Pages

vendredi 23 juillet 2010

Cyprine

Je quittais l’hôpital du centre après avoir quitté ma mère, la laissant mourir de sa cirrhose dans sa chambre morbide et glauque.
Hors de question de l’accompagner dans ses dernières heures. De la supporter une fois de plus dans sa connerie. C’était la fin. Elle le savait, je le savais, nous le savions. Et c’était le jeu. Et c’était ainsi. Mon dernier effort a été de lui dire au revoir. L’avant dernier a été de la laisser dans sa merde après avoir tant de fois essayé de l’aider, en vain. J’avais choisi le chemin de ma vie, pas de la sienne.
Je rentrais chez moi, vide. Vide de sentiments, de sensations, d’humeur. Vide, enfin, d’elle.
Ces dernières heures là, ces dernières heures de sa vie, auraient du être pour moi « la libération ». Rien de tout cela. J’étais vide.
Ça y’est.

Je suis née en été, en juin. Ma mère aussi, et la mère de ma mère également.
Ma grand-mère est morte un mois de juin, ma mère s’apprêtait à partir aussi à cette période.
Il faisait chaud et lourd.
Un soleil majestueux.
Presque un tapis rouge déroulé pour l’occasion.
Coutumière, l’occasion.
Le soleil qui nous a toutes fait naître, se présente pour nous achever. Enfin, pour elles. Moi, mon heure n’est pas encore arrivée. Ce sera pour un autre mois de Juin.

Je suis arrivée devant la porte de mon immeuble, j’ai pianoté le code de la porte d’entrée, j’ai traversé le hall, monté l’étage, glissé la clef dans la serrure, tourné la poignée, ouvert la porte de mon humble demeure, et dans l’entrée de l’appartement, dans mon modeste couloir, j’ai eu le choix entre la gauche et la droite.
La gauche me menant directement au salon et la droite me menant à la cuisine.
J’optais pour la droite.
D’un geste mécanique je sortis une bouteille de vin rouge qu’une amie avait amené un de ces soirs ou tout le monde ramène quelque chose et ou on se retrouve avec plus d’alcool que de raison.
Un Bordeaux 2005, élu produit du palais. Je n’aimais pas le bordeaux.
Pourtant j ai débouché la bouteille, et par habitude, j’amenais mon nez au goulot pour vérification odorante. Il s’en est échappé un souvenir d’antan, un souvenir pourtant jamais vécu. J’ai ensuite naturellement dirigé mon regard vers la vieille bonnetière en bois à côté de l’évier, le nez toujours au goulot de la bouteille, continuant d’humer. Une sensation d’ancien temps, de bon vin et de bon meuble en bois fait maison. Une odeur de vieille baraque de campagne, celles la même qui bercent un jour ou l’autre notre enfance.
Une odeur de baraque qui sent le grand père et la grand-mère. Qui sent le jardin, la cuisine, la guerre, la vie.
Une gorgée.
Doux nectar.
J’en fus agréablement surprise.
Puis un besoin vital d’appeler Pedro. Un ami amant.
Bon ami quand il faut, et bon amant quand les jours comme celui-ci sont trop fades.
Il serait resté juste un ami s’il n’avait pas été si bon amant, mais ne deviendra jamais plus qu’un amant.
Je tenais trop à ma liberté, et ma solitude intempestive ne pouvait donner libre accès à une relation sérieuse.
Évidemment Pedro répondit favorablement à notre code :
-« Allo ? »
-« C’est moi. J’ai perdu les eaux, ramènes ton éponge. »
Il est arrivé et je ne lui ai rien proposé à boire, j’étouffais trop de la journée et il me fallait un bol de jouissance.
Il m’a prise, là, dans le salon, entre la bibliothèque et le bureau.
J’étais silencieusement excitée, il faisait chaud, le soleil frôlait nos corps. Il me pénétrait avec violence, et passion.
Il transpirait.
Je transpirais moi aussi, comme jamais.
J’ai dégouliné de cyprine, de sueur.
J ‘ai eu l’impression de suer tout l’alcool que ma mère ingurgitait depuis toutes ces années.
J ai eu l’impression d’évacuer toute sa saleté et son mal être, de me débarrasser d’une crasse, d’une tache trop longtemps soudé à mon âme.
J’ai jouis, enfin, comme jamais jusque là. Une libération. Un flot de liberté. Des ailes à mon corps, à mon moi.
J’ai jouis d’une seconde vie, j’ai jouis d’une renaissance. Enfin.

E.E