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jeudi 24 juin 2010

Patrick

Je m’appelle Patrick. Patrick Stevens.
J’ai 38 ans, je suis célibataire, régisseur général de métier, et je suis Saturnien.
Enfin, j’étais.
Parce que aujourd’hui, je me suis fais renversé par un putain de camion de don du sang, de la société « H.R- Hémoglobine Rabbit ».Ils pompent le sang des autruches pour le refiler aux lapins des magiciens (comme Cooperfield, il fût un temps sur Terre).
Il y a eu une sacrée épidémie ici, les lapins souffraient d’endurance. En gros, leurs propre sang ne leurs suffisait plus à alimenter le cœur. Par conséquent, ils n’étaient plus trop crédibles dans leurs jobs, et il fallait trouver une solution. Et les autruches se sont avérées parfaitement compatibles.
Donc, comme je disais, je me suis fais renverser par ce putain de camion à la con. Vous auriez vu ça… !
Enfin bref. Je suis mort maintenant.
Et comme la loi l’exige, je vais devoir dégager de Saturne. Pour ailleurs, je ne sais pas encore où.

Oui, Saturnien, je disais plus haut. Je m’explique.
Il y a cinq ans, j’habitais la Terre, mais j’ai décroché un emploi dans le domaine du spectacle ce qui m’a fait changer de branche. Je suis passé d’électricien écologique à régisseur.
Sur Terre c’est ce domaine : L’écologie. Et moi, en tant que nouvel intermittent du spectacle, évidemment, c’était direction Saturne (vous savez la planète avec le gros anneau).C’est là bas que ça se passe la culture. Sur Saturne.
Du coup, adieu la Terre et salut la grosse !
Là bas, dans les rues, une loi exige de passer des vinyles au travers de petites enceintes fixées sur les façades d’immeubles.
A n’importe quel coin de rue vous entendrez de vieux morceaux qui crachent.
C’est un peu comme un hymne, si vous voulez.
Obligatoire.
Même chez soi, on est obligé d’avoir la platine. Chaque mois, on ne sait jamais quand, la douane des diffusions sonores passe chez vous vérifier que vous êtes en situation régulière.
C’est une chouette planète, au-delà de ça. Remarquez, si on est intermittent, c est qu’on l’a voulu et qu’on aime ça, alors après, pas difficile de respecter la loi.
J’ai eu du mal au début à me détacher de la Terre, mais au final je suis vite tombé amoureux de cette foutue planète.
Mais non ! Voilà qu’aujourd’hui, je me crève bêtement, renversé par un con de camion de don du sang pour connards de lapins à magiciens péteux.
Une belle cascade.
Y’avait du sang partout. Très peu du mien pour le coup, je suis sûr. C’était impressionnant toute cette mare de liquide d’autruche.
Donc, adieu Saturne.
Ah oui parce que dans cette galaxie quand on meurt, on ne meurt pas vraiment. Enfin si, mais disons que c’est une boucle. On meurt et on revit. Mais on est envoyé sur une autre planète, pour reprendre tout a zéro, tout recommencer. Une vie entière, jusqu’à la prochaine mort. Donc ça peut être n’importe laquelle. De planète.
Alors me voilà bientôt parti pour ailleurs… Pluton ? Vénus ? Jupiter ?
Oh non pas Jup’, bordel, là bas il parait que c’est la planète des zoologistes.
Le drame ! Je me fais tuer par un camion de sang d’autruche pour aller vivre ma nouvelle vie sur une planète d’animaux ! Beurk ! Je hais les bestioles !!!
Manquerait plus que le président soit un de ces foutus lapins !!!

E.E

Lola

Il n'y a là en elle qu’une envie de renaissance.
Devenir ce qu'elle n a pas pu être.
Sa vie, à Lola, a comme un goût de merde séchée.
Une artiste, un écrivain des bas comptoirs. Écrivain de la vie, noire. La vie. Écrivain de merde. Artiste au petit " a", artiste prostré dans sa mélancolie défectueuse.
Des jours comme ça ou elle se prend en pleine face son incapacité à vivre pour deux, à trop s'attacher à sa bulle.
Un jour comme ça ou on lui retire son désir de donner. Sa seule vraie preuve de sincérité et d'amour, sa seule vraie preuve de tout.
Incompréhensible sûrement.
Peu importe.
Une envie de renaissance. Juste pour être homme.
Et pour pouvoir enfin jouir de ce don de liberté, animal et lâche.
Pouvoir boire comme un ivrogne sans avoir à se soucier ni à salir sa belle gueule de jeune femme, "Pasque quand même, Lola, c’est moche une fille qui boit."
Non ce n’est pas moche.
C'est plus joli que votre lâcheté, bande de bites à sperme.

Des jours comme ça où l'envie lui prendrait bien de tirer une balle dans la tête de tous les freaks qu’elle pourrait croiser. Tous ces connards aussi qu'elle peut servir du matin au soir, tous ces connards à qui elle sert les assiettes. Ces assiettes là, qu’elle se garde à des moments de s'en servir comme de tarte à la crème. Tous ces connards qui ne considèrent rien ou trop peu, tous ceux là qui claquent des doigts ou sifflent, pour un café. Ni bonjour, ni merci. Des cons partout. Mais pas tous. Pas tous des connards ceux qu'elle sert, heureusement. Ouf même. Ça, permet de relativiser.

"C'est chouette la mafia quand même."
" Si j'avais été un mec, je me grefferai un flingue en guise de troisième couille et je rejoindrai la mafia sicilienne"
Si...
"Si ça c'est pas de couilles hein! "

Impossible d'affronter ce trop plein de merde, comme celle de la caisse des chats qui n a pas été nettoyé depuis trois jours. Une infection. La gerbe quoi.
La gauche, la droite, c est pareil, ça ne porte pas plus bonheur de marcher dedans que d'avoir les doigts qui sentent la pisse.
Ce n’est pas le pied dans la merde qu'on lui lira l'avenir de toute façon.


Après quelques lignes crachées ici et là sur sa feuille, elle jeta son foutu stylo sur le bureau, souffla, pris sa tête entre ses mains, se mit une violente gifle. Celles là même qui laissent la peau bien rose.
"Putain!"
Elle prit ses affaires, jeta un vague coup d'œil dans le miroir en passant, se fit un doigt d'honneur et partit en direction de son zinc préféré, fêter hypocritement ses 26 ans.

E.E

Félix

Jeudi, 20h23, le téléphone sonne.
-« Hey Félix ! C’est le Jo ! »
-« Salut Jo, ça va ? Quoi de neuf ? »
-« La routine, mon vieux, la routine. Tu me rejoindrais pour un saint godet ? »
-« Ah ! Ah ! L’heure de l’apéro a sonné mon pote ! Au Rouge, ça ira ? »
-« Yep ! A tout de suite alors ! Je t’attends là bas ! »

Félix raccrocha, content comme à son habitude que l’on pense à lui à cette heure de la journée.
Il arriva au café Rouge. C’était une soirée chanson française, où un mec chantait les chansons d’un livret qu’il mettait à disposition des clients. A tour de rôle, plus ou moins, on choisissait sa chanson.
Ambiance conviviale.
Ambiance comptoir.
Ambiance nostalgie, aussi.

Jo était au bout du bar, devant une mauresque.
Le café était déjà noir de monde, la soirée s’annonçait alcoolisée.
Et Félix, ce soir là, avait renoncé, ou plutôt troqué l’écriture contre l’abreuvage.

02h12 du matin, les yeux pétillant de chansons françaises, de souvenirs et de bières, Félix salua la compagnie, et se pressa de rentrer.
En arrivant, il constata le bordel sur sa table de salon : Feuilles à rouler, cartons, miettes de tabac, verre vide, canettes de bière, stylo, capsules, cendrier plein, livre de Bukowski.

-« Chier…. », Marmonna t-il.

Lorsqu’il alla dans sa chambre pour se déshabiller et se mettre au lit, il cru entendre quelque chose venant du salon. Il s’arrêta une seconde, tendant l’oreille, puis repris finalement son déshabillage.
A nouveau.
Comme un vague marmonnement.
Félix fronça les sourcils.
Se demanda s’il avait vraiment trop bu une fois de plus, ou, si il avait bel et bien entendu une voix.

-« Putain !!! Tu réponds quand on te parle, FÉLIX !!! » Cria la voix.

« Merde ! » se dit Félix en sursautant. Les poils de ses bras hérissèrent.
-« Il y a quelqu’un dans mon appart, c’est pas vrai ! » dit-il tout en sortant de sa chambre.

Mais non, personne.
Rien dans le salon, ni ailleurs.
Félix légèrement angoissé, s’assit dans le canapé.
La voix reprit de plus belle :

-« Mais t’es vraiment con où tu le fais exprès ! »

Là, les yeux de Félix s’écarquillèrent.
-« Putain, j’y crois pas…le livre…, c est quand pas le livre qui…. »
-« Eh si, pauvre tâche ! C’est moi ! Les contes de la folie ordinaire, négligemment posé sur ta foutue table de salon ! »
-« Mais…Mais… » Balbutia Félix maintenant complètement halluciné.
-« Mais quoi ? Tu ne savais pas que les livres avaient le droit à la parole ? Eh oui mon vieux ! Je te parle. Je te parle parce que tu t’encroûte et que je suis là pour t’aider à te sortir les doigts du cul ! »
-« Non mais attendez, c’est quoi ce… »
-« Ah non hein ! Point de vouvoiement, on n’est pas chez le Pape ici !
Bon mon gros, tu fais quoi là ??Tu vas te remettre à écrire, tu vas lâcher un peu les bars, reprendre ton roman avant que tu ne le classe une énième fois inachevé, ou je dis à ton réveil de sonner parce que t’es sacrement à la bourre là ? »

Blanc.


E.E

mercredi 23 juin 2010

Henriette

Henriette Mesclun était veuve .Elle avait perdu son cher et tendre il y a déjà 21 années. Celui-ci l’avait lâchement abandonné, emporté par un cancer du côlon fulgurant.
A cinquante-cinq ans elle se retrouvait donc seule, dans cette immense maison de campagne faite de pierres, une maison qu’ils avaient aimé, qu’ils avaient choisi, pour y passer leurs années de mariage, jusqu’à ce que la mort les sépare.
Alors oui, la mort les avaient séparé justement.
Et elle se retrouvait là, Henriette, dans cette maison, qui ne lui plaisait plus maintenant.
Trop de souvenirs, trop de nostalgie. Trop de solitude. Cette maison était devenue vide d’amour et de vie.
A 55 ans, Henriette en voulait cruellement à la vie.
« Jusqu’à ce que la mort vous sépare », elle se souvenait encore de cette phrase du curé lors de son mariage avec Firmin. Jamais elle n’avait songé à la mort, jamais elle n’avait envisagé qu’un des deux pouvait mourir, laissant l’autre seul.
Comme si elle s’imaginait, à cette époque, qu’ils mourraient ensemble, en même temps.

Quelques années après la mort de son mari, se sentant décidément trop seule et trop usée par la tristesse, elle décidât d’adopter un chien.
Elle prit donc un teckel, relativement grand d’ailleurs ce teckel, puisqu’il était croisé avec un épagneul. Elle le surnomma Frimin, pour retrouver un peu la consonance du nom de son mari, et retrouver aussi un peu de chaleur nostalgique quant à l’appel de l’animal.
Henriette et Frimin vécurent heureux pendant presque 15 ans. Car malheureusement, le cœur de celui-ci lâcha bêtement lorsqu’un matin le coq s’était mit à chanter plus tôt que prévu.
C’est ainsi que Henriette se retrouva à nouveau seule, dans cette grande bâtisse.
Par désespoir, sans doute, ou bien par colère ou encore par frustration, elle se dit que non, elle ne resterait pas une fois de plus seule, lâchement abandonnée, et fit donc empailler Frimin.
Elle lui trouva sa place idéale, bien en face d’elle et suffisamment proche : Sur le poste de télévision.
Ainsi, Henriette avait toujours son compagnon près d’elle. Elle se sentait donc moins seule et arrivait à retrouver le sourire.

Un jour où elle s’occupait de son jardin, elle cogna de sa bêche, un objet métallique.
Elle s’agenouilla pour déblayer à la main la terre autour de celui-ci et découvrit une clef. Une magnifique et vieille clef, de couleur or. Une grande et grosse clef, comme on en trouve rarement de nos jours. Le genre de celles qui ouvrent de grandes et grosses portes en bois.
« Quelle belle clef ! » se dit t-elle émerveillée, « et comme c’est étrange de trouver cela ici… je vais la garder et l’accrocher quelque part !»
Sur ce, elle empocha la clef dans son tablier et se remit au travail.
Un peu plus tard, en rentrant du jardin, elle alla dans sa chambre, se dirigea vers sa coiffeuse et ouvrit sa boite à bijoux. Elle en sortit une chaîne en or que lui avait offert son mari dans le temps .Elle y passa la clef, et descendit au salon. Là, se disant que cela lui irait très bien, elle passa la chaîne avec la clef autour du coup de l’empaillé, et admira quelques minutes l’animal.
« Parfait ! Tu es magnifique mon Frimin ! »
Après avoir dîné, elle se mit dans son fauteuil pour regarder la télé, et comme chaque soir, elle s’endormit devant.
Au petit matin, elle ouvrit ses yeux et bailla. Son mal de dos la fit gémir, alors elle s’étira, et fit craquer quelques vertèbres.
Elle chercha ses pantoufles du bout des pieds sans succès, et sentit à la place, quelque chose d’extrêmement doux. Cela ne ressemblait en rien à ses chaussons. Intriguée, elle se penchât, et regarda.
Là, ses yeux s’écarquillèrent, et, en l’espace d’une seconde, blanche comme un linge, elle regarda en direction de la télé. Rien.
Henriette baissa à nouveau les yeux au sol, et fut prise d’un terrible sursaut.
Frimin était à ses pieds, il respirait et battait de la queue tout en léchant le pied de sa maîtresse.
Malheureusement pour Henriette, son dernier sursaut lui fut fatal, et sur cette dernière image, elle partit rejoindre son mari, laissant là, Frimin, seul, dans cette immense maison de campagne, faite de pierres.

E.E

Alphonse

Alphonse avait les idées noires ces temps-ci.
Remarque, ils les avaient presque toute l’année, cela dit.
Le plus clair de son temps, il passait ses soirées dans les bars, là où il se liait d’amitié avec les patrons. Ceux la même qui lui portait un peu d’attention et d’amitié sincère.
Il était jeune Alphonse, 27 ans, et un prénom lourd à porter pour sa belle gueule d’ange.
Un prénom qui ne lui allait guère.
C’était un bel homme, de taille moyenne, des cheveux très bruns et légèrement ondulés, un visage mature et une peau mate, de belles fossettes lorsqu’il s’apprêtait à sourire, et le tout animé par des yeux verts et un regard pétillant.
Bref, Alphonse, au-delà de son prénom qui en faisait rire plus d’un lorsqu’il se présentait, sombrait une fois de plus dans la déprime.
Il venait pourtant d’emménager dans un nouvel appartement, bien plus grand. Un trois pièces de 73m² pour lui tout seul. Enfin, pas vraiment. Lui, et ses trois chats.
Le premier soir de son emménagement, après avoir déballé sa première dizaine de cartons, il se rendit compte que son gosier réclamait un juste abreuvage. Il décida alors d’en arrêter la sa manutention, et de filer droit au zinc.
Il avait donc opté pour le café rouge, celui de la grande place, car il affectionnait particulièrement le patron, qui le regardait toujours droit dans les yeux et qui jusque là, ne l’avait jamais jugé…pas comme certains.
Il arriva au pas de course, comme un assoiffé. Il poussa la porte du dit café.

- « Yessss ! Alphonse !!! Comment va, ma poule ??Ca faisait un moment !!! »
- « Hey !!! CONNARD !! Heu pardon ! Conn….BERNARD !!! Comment va ahaha ! »

Et c’est ainsi, une fois de plus, que les bières coulèrent à flot, les unes à la suite des autres, dans le doux gosier d’Alphonse.
Il s’abreuva ainsi jusqu’à n’en plus soif.
Rentra chez lui tant bien que mal, évitant malhabilement quelques réverbères sur son chemin, et enfin, se vautra telle une merde, sur son lit, dans cette chambre, cette nouvelle, encore encombrée de cartons, vide de tout autre meubles, vide de toute autre âme. Même de la sienne.

Le lendemain, très mal et avec une bonne pâteuse, il se leva.
Se dit qu’il devait absolument courir vers une pharmacie afin de virer l’orchestre cacophonique qui œuvrait dans sa tête.
Il avait repéré, quelques jours plus tôt, une pharmacie non loin de sa nouvelle demeure.
Une pharmacie qui ne le connaissait donc pas.
- « Aie… » pensa t-il
- « Tant pis, on verra bien… »

Peu de temps après, il poussa la porte de la nouvelle pharmacie.
Vide de monde.
Une fausse blonde, vieille et botoxée a mort, l’accueille de derrière son comptoir.

-« Bonjour Monsieur ! » (Voix de commerçant blasé)
-« Bonjour, SALOPE !!! Heu non...pard…CONNASSE !!! JE VOUDRAIS DU DOLIPRANE, PUTE-SALOPE !!! MAIS NOOOON !!! »

La femme, d’abord surprise, pâlit. Enfin, elle se mit à trembler, puis prit peur, et, ne sachant que dire ni que faire, elle appela la police.
Alphonse se prit la tête dans les mains, et pleura. Il savait bien que plus il stressait, plus ça empirait.
Lorsque la police arriva, et qu’on lui donna enfin le droit de parler après le résumé hystérique de la pharmacienne, il plongea la main dans la poche intérieure de son manteau pour en sortir son portefeuille, et de celui –ci, il sortit un petit papier plié en deux qu’il tendit à l’officier de police.
Le policier, après un regard étonné, prit le petit papier, le déplia et lu :

« JE SUIS ATTEINS DU SYNDROME DE GILLES DE LATOURETTE .VEUILLEZ ME PARDONNER .JE SUIS DÉSOLÉ POUR LE DÉRANGEMENT. »


E.E